Bonjour, c’est Epinard dit Epi.
Ah oui, tout d’abord, je voulais vous dire, j’ai jamais aimé mon nom. Imaginez vous appeler Epinard ! La honte ! Quand j’étais jeune, les copains n’arrêtaient pas de se moquer de moi : alors Popeye comment ça va ce matin ! T’as pris tes épinards… Heureusement que j’avais un physique de charmeur, car sans cela je n’aurais jamais trouvé de copine !! D’ailleurs, je formais un couple super sympa et très branché avec Gypsy. Vous devez être étonné que j’emploie l’imparfait, vous allez comprendre plus tard.
D’abord, je voudrais rectifier les dires de Gypsy de son dernier mail : il n’y a jamais eu de loups dans le coin. C’était pour vous apitoyer sur son sort. Cet hiver, on a vu des biches et des chevreuils, des faisans et des canards, des lapins et….. un sanglier. Quand j’ai vu cette énorme masse noire arriver vers nous, je me suis précipité pour protéger Gypsy de mon corps et j’ai henni du plus fort que j’ai pu. Le sanglier s’est arrêté et m’a regardé droit dans les yeux. Il a vu que jamais je ne le laisserai passer et il est reparti dans la foret. Que d’émotion ! J’étais fier de moi. Gypsy en était toute retournée !
Par contre, il faut le dire, l’hiver, c’est pas marrant : il fait froid, il n’arrête pas de pleuvoir et en plus, cette année, nous n’avons pas pu faire ni de bonhomme de neige, ni de bataille de boules de neige avec les copains. On nous sortait de notre boxe vers 9 heures pour y revenir ver 17 heures. Je vous parle pas de l’état des paddocks : on s’enfonçait dans la boue presque jusqu’aux genoux, c’est dire. Et quand il pleut, i y a personne pour vous faire rentrer, on reste dehors. On revient donc crotté et on vous propose même pas de douche. Direct dans le boxe. Avec Gypsy, on a fait une réclamation sur la qualité du service. On nous a répondu que les petites mains des cavaliers de Marly le Roi qui nous bichonnaient, nous brossaient, nous chouchoutaient, c’était terminé. Dur, dur, dur… Par contre, coté nourriture, rien à dire : foin à volonté et petit déjeuner consistant.
Mais il faut maintenant que je vous raconte ce qui m’arrive : il y a trois semaines, notre patron de Paris nous dit que vu le printemps précoce, il était temps d’aller au pré. Franchement, avec Gypsy, on a fêté cette annonce car on commençait à en avoir marre. On a donc demandé pour la dernière journée en boxe une double ration de foin et …. une bière dans notre aliment du matin. Il parait que les grands champions comme Withaker font souvent cela avec leurs chevaux de CSO. Ils ont pas du comprendre notre langage codé car on a rien eu.
Le lendemain, on s’est retrouvé dans trois champs de huit hectares pour nous….. tout seuls. Mais non, notre patron avait demandé à ce que l’on soit avec d’autres copains :
- un ancien de Marly, Doudouil, vous savez, le teigneux qui s’est blessé le 31 décembre pour embêter tout le monde. Je parlais tout à l’heure de mon nom, je vous parle même pas du sien : Doudouil ! Lui, je me rappelle plus très bien, mais c’était pas un commode. Je crois même qu’il a jamais réussi à trouver de copine.
- et une grande chose qui fait 1,85 m au garrot. Imaginez, au départ, quand Gypsy était de l’autre coté, je me demandais si j’allais passer sous lui pour aller la voir tellement il est grand !
Je vous en parle pas, les retrouvailles et le fait que l’on puisse enfin galoper sur de grandes distances, on en a pleuré de joie avec Gypsy.
Mais le patron a vu la semaine d’après, quand il est revenu, ce n’étaient pas des larmes de joie qui coulaient sur ma joue mais de pleurs. Je vous ai dit que Doudouil était une teigne, et bien, il a décidé que Ma Gypsy allait devenir Sa Gypsy : interdiction pour moi de l’approcher à moins de vingt mètres sans cela il se met à courir sur moi les dents en avant. Tiens, au passage, il a eu un très grave accident car il est resté handicapé pendant plus de deux ans et a failli mourir. Tout le monde pensait depuis qu’il ne pouvait plus se déplacer rapidement. Je vous confirme qu’il cachait bien son jeu.
On a essayé d’en discuter et moi de lui expliquer notre histoire : rien à faire, je me retrouve dans mon coin à au moins 20 mètres des autres. Quand le patron vient avec du foin, il est obligé de faire deux tas : un pour trois et un pour moi car sans cela je n’aurais rien. Pareil pour les carottes, ils sont obligés de venir à deux.
Vous vous rendez compte, après plus de dix ans de vie commune, ma compagne Gypsy qui faisait des coliques quand je m’absentais du boxe, la voilà qui m’abandonne et pour un vieux en plus !! et avec un nom à coucher dehors !! Quel honte !!
Ceci dit, il faut être honnête, je ne sais pas si c’est elle qui a décidé car j’ai l’impression qu’elle aimerait bien venir me voir mais c’est Doudouil qui lui interdit. Que dois je faire ?
Le patron m’a réconforté en me disant que Doudouil devrait au mois de juin rejoindre sa propriétaire qui va pouvoir maintenant l’accueillir car elle a déménagé. Là, il y aura des règlements de comptes. Mais pour le moment, je m’aperçois qu’elle m’énervais souvent Gypsy car elle était toujours collée à moi, toujours à se plaindre de son sort, à n’être jamais heureuse : elle m’étouffait.
………mais là, elle me manque……(des larmes coulent sur mes joues, je n’arrive plus à écrire).
Je vous laisse. Sachez que Gypsy n’est pas au courant de cette lettre, que j’ai fait corriger les fautes d’orthographe au grand cheval et que, même si je suis actuellement un peu triste, nous profitons tous les deux du soleil du printemps qui est le plus agréable.
Epinard dit Epi le beau.